RAID DANS LE JURA PAR VERCORS HANDISPORT
Sous la houlette d’Odile N. et Gérard B., un groupe de 20 skieurs composé d’autant de « valides » que de « non valides » est parti en raid itinérant sur le tracé de la Grande Traversé du Jura. Un parcours riche en émotions, en paysages féériques, en fous rires et en expériences inédites.
PAR JEAN LUC MIAS
Jeudi 1er février
Vercors – La Pesse en voiture ; La Pesse – auberge La Guiénette en ski
Partis à 8 h du matin de Grenoble sous une pluie battante, il ne pleut plus à notre arrivée dans le Jura où il a neigé ; nous pique-niquons dans la sympathique salle hors sac de La Pesse que nous avons réservée.
Au départ de la piste de ski, chacun ses fonctions : Odile N. et Gérard B. s’occupent des forfaits de ski, les guidés cherchent leurs guides, on aménage à coups de pelle une rampe d’accès aux pistes de ski. La poudreuse sur les arbres nous offre des paysages sublimes. C’est la première fois de l’hiver que nous skions sur une piste au profil aussi accidenté, aussi au bout de quelques kilomètres des chutes se produisent : Pierre P., paraplégique lugeur, s’est renversé ; nous sommes 4 à le relever, il est lourd. Relié à lui par une corde, j’ai pour mission de le tirer sur les plats et dans les montées, tandis qu’il pousse avec ses bâtons ; dans les descentes, son guide se place derrière lui et le freine en chasse neige tout en tenant fermement sa luge pour éviter qu’elle ne se renverse. Il nous faudra deux jours pour bien mettre au point cette technique de descente. De nos efforts communs est née une complicité que l’on retrouvera dans nos sorties de groupe en hand-bike au printemps suivant.
Le guidage de Fabienne K., Noëlle G., Michel B., Rachid K., tous les quatre déficients visuels, se fait essentiellement à la voix et demande de leur part une parfaite confiance en leur guide. Rachid est un très bon skieur et participe à des courses longue distance avec son guide. Cette première journée s’achève à notre arrivée au gîte des Guignettes à la nuit tombée. Le gîte, ancienne ferme restaurée avec une façade en tavaillons, est confortable et le repas copieux. Malgré nos craintes la nuit s’est bien passée, sans trop de ronfleurs pour nous importuner.
Vendredi 2 février
Auberge La Guiénette – Lajoux, gîte « la Maison des inuits »
A 8 h tout le monde est réveillé, il fait très beau, cristaux de neige brillants au soleil… il fait -10°c ! Certains chauffeurs s’occupent du transfert des voitures jusqu’au gîte du soir. A 10 h départ du gîte, nous skions dans les « bellecombes » jurassiennes, lesquelles portent bien leur nom. Nous nous régalons des paysages splendides et vallonnés du parc naturel régional du Haut-Jura. On voit Rachid K., mal voyant, guider Noëlle B. qui est atteinte d’une maladie dégénérative de la vue : elle a confiance ! Quelques guides valides ont passé leur journée à guider, pousser et retenir les luges dans les descentes. Laurent S., handicapé depuis sa chute du toit de sa maison, était bien fatigué, on a dû l’arrêter en cours de route et lui trouver un « blablacar » qui l’a amené à la salle hors sac du pique-nique à Lajoux. L’après-midi tout le monde a voulu regagner à ski le gîte « La Maison des inuits » distant de 3 km. En arrivant, certains sont allés au sauna, , d’autres en salle de relaxation, d’autres encore ont paraffiné les skis. Le patron du gîte était nouveau, l’accueil fut excellent et le couscous le soir aussi. Ce fut une journée annoncée facile, mais en fait il y avait de grosses montées et des descentes très rapides. Bon nombre de skieurs croisés sur la piste n’en revenaient pas d’apprendre que le skieur qu’il venait de voir passer à bonne vitesse était… aveugle. De même Gaston C. et son épouse Danièle, paraplégique lugeuse, faisaient grosse sensation quand ils « encapaient » une descente sinueuse à grande vitesse ! Il y eu encore des renversements de luges et d’autres péripéties, mais la solidarité et l’entraide entre « valides » et « non valides » a permis de surmonter ces difficultés tout au long du parcours.
Samedi 3 février
Lajoux – Prémanon
Le temps est couvert et après avoir tout déballé sur la piste de ski, skis, bâtons, luges, baudriers, nous tournons en rond près du lac de Lamoura , en attendant que les voitures des chauffeurs reviennent de la Darbella. Départ en ligne sur le lac, type départ Transju ! Peu après nous voyons Noëlle G. plus que malvoyante guider Fabienne K. non voyante, aidée en cela par des pistes bien tracées. De part et d’autre de la piste, les arbres et arbustes ploient sous la poudreuse. Le parcours du jour n’est pas difficile, il y en a même qui font du supplément en faisant une boucle autour de La Serra. Nous rejoignons la salle hors sac de la Darbella vers 13 h. Les guides aident les lugeurs à s’asseoir dans leurs fauteuils pour se mettre au chaud dans la salle hors sac de plein pied sans escalier. En mangeant Claude T., le vétéran du groupe, sympathise avec un pré-ado vacancier qu’il initie au jeu de la cuillère-catapulte. C’est vrai qu’il est resté jeune notre Claude ! L’après-midi nous rejoignons Prémanon à ski, Gérard B. nous a dit « c’est facile », mais le petit groupe que je mène se trompe d’itinéraire et prend les pistes les plus raides. Seul Dominique K., lugeur paraplégique et grand sportif, atteindra le sommet de la côte sans aide, seulement à la force de ses bras. Laurent S. nous bluffe sur ses skis à l’arrivée à Prémanon, il a des ressources et plus d’équilibre qu’on ne le pensait ! Le soir nous avons fêté l’anniversaire de Gérard B. en poussant la chansonnette et en ouvrant quelques bouteilles. Pierre P., médecin retraité paraplégique, nous a fait un petit discours bien émouvant de remerciements, tout heureux d’avoir refait ce parcours de la GTJ qu’il avait parcouru étant valide qu’il n’espérait plus refaire.
Dimanche 4 février
Ski aux Rousses puis retour dans le Vercors
Nous décidons de faire notre dernière matinée de ski aux Rousses. Le temps est toujours aussi beau, mais il y a moins de neige et même quelques plaques de glace à négocier par les guidés toujours avec l’aide de leurs guides. Michel B., aveugle et président de Vercors handisport, et Rachid K. partent avec leurs guides toujours en skate en direction de Bois d’Amont. C’est tout juste s’il n’a pas fallu les arrêter avant la fameuse montée du Risoux, principale difficulté de la Transju ! Camille L., hémiplégique de naissance, notre dynamique vice présidente toujours souriante en a bien profité elle aussi ! A midi nous mangeons dans la salle hors sac au départ des pistes des Rousses. Avant de partir nous faisons le plein de comté aux Rousses… c’est déjà fini…
Cette randonnée itinérante avec 9 « non valides » et 11 « valides » s’est déroulée dans une excellente ambiance et dans un esprit de solidarité et d’entraide permanent. Odile et Gérard l’avaient bien préparée en réservant les gîtes et les salles hors sac dès l’automne. De plus, Odile avait confectionné les pique-niques des déjeuners pour 20 personnes. Gérard avait fait une reconnaissance du parcours en skate par neige rapide… en un jour, si bien qu’il l’avait trouvé facile. La réalité avec des non valides fut légèrement différente. La présence de salles hors sac disséminées tout au long du parcours nous facilita beaucoup la réalisation de cette traversée. Tous les guides présents avaient une expérience du guidage, car Vercors handisport organise régulièrement dans l’hiver des sorties à ski de fond sur les pistes de Villard de Lans, mais ce raid fut différent car il s’est déroulé sur des pistes plus accidentées que nos précédentes sorties et c’était un vrai challenge à relever. Les étapes réalisées étaient de 15 à 20 km par jour.